vendredi 1 janvier 2010

3 - Raphaël Zacharie de IZARRA - Farrah Fawcett - http://fawcettizarra.blogspot.com/ 200-299



Vidéo : "Je suis un prince"

Fils des étoiles, enfant de la Lumière, fruit céleste, il est naturel que je sois considéré comme un prince.

Le prince IZARRA.

Même si, accessoirement, certaines femmes m'appellent PHARAON...

Évidemment cela déplaira au possible à plus d'un détracteur que je me fasse appeler prince... Comment faire abstraction de l'ingratitude, de l'ignorance, de la bêtise de ce monde puisque, moi aussi, je suis de ce monde ? Par conséquent je prends en compte les griefs, railleries et médisances de mes adversaires. Avec la hauteur de vue qui me caractérise.

En effet, un vrai prince sait écouter la gueusaille hurlante. Magnanime, miséricordieux, hautain mais néanmoins bienveillant, toujours je répondrai à leurs crachats en répandant le parfum de ma noblesse.

Mes ennemis en veulent à mon auréole izarrienne mais je pardonne infiniment à ces hérétiques : large, puissant est le torrent de mon âme, minuscule est la rigole de leurs pensées.

Le prince IZARRA fait grand cas de sa particule et comme toujours ce sont ceux qui vivent sous des patronymes dupontesques qui sont les premiers à le dénigrer... La proximité mutuelle des principes opposés amplifie leurs gloires et déchéances respectives : l'or que souhaite côtoyer la boue rend encore plus vile cette dernière et l'onde fangeuse qu'assèche la face de Râ fait briller l'astre d'un éclat supplémentaire.

Je suis le métal de la vertu, le soleil qui fait pâlir tout artifice.

Je restaure les vérités : à travers moi le vice rougit de honte et la laideur baisse son regard borgne.

Je suis Art, je suis Poésie, je suis Beauté, je suis Vérité, je suis IZARRA enfin.

De ma seule particule j'écrase misère, nullité, mensonge, horreur. De mon aile virile j'ennoblis quiconque est digne de la flamme izarrienne. De mon esprit supérieur j'éclaire l'aveugle lectorat, guide les égarés livresques, conseille aux érudits d'aller se régénérer à la source izarrienne. Je débouche les oreilles des sourds au son de ma lyre. Et de ma trompette fameuse réveille tous les abrutis de la Terre.

De mon front pur émane l'autorité cosmique.

Mon âme décidément débordante de noblesse fait loi. Ses éclairs sont bleus, blancs, rouges.

Et jaunes.

Je rétablis les honneurs perdus, châtie la vulgarité, distribue caresses ou jette le blâme.

Je suis le Salut des lettrés, je suis l'Épée des plumes, l'ennemi des enclumes.

En un mot je suis la Plume, je suis l'Étoile, je suis IZARRA.

Un vrai prince.

Vidéo : "Un chat jaune chez nous"

Autrefois j'ai aimé une créature infernale. Un monstre beau, tendre, baroque et pur : prodige régnant sur un pays dont on ne voit jamais les frontières, aussi vaste que l'imagination. J'ai quitté les rivages qui vous sont si chers, asiles de vos dieux d'airain. J'ai rompu les amarres qui vous tiennent tant à coeur, impatient de rejoindre les brumes promises, loin de votre terre ferme.

Pour plaire à cet être hideux j'ai trahi raison, sens, logique. Pour cette chose innommable j'ai renié l'âpreté des sciences, attiré par l'haleine chaude, mystérieuse de ses baisers. Au nom de cet amour contre-nature je me suis détourné de la fontaine du savoir, préférant me désaltérer à la source brûlante, vénéneuse de ses lèvres. De ce breuvage impie j'ai gardé la nostalgie du feu qui donne leur éclat aux étoiles. Et rend si pâles vos visages enfouis dans la grisaille...

J'ai suivi cette chimère pour fuir vos jours remplis d'ennui. Vous étiez morts, elle était pleine de vie. Parce que j'ai aperçu une parcelle de vérité dans ses yeux vérolés, j'ai dit : "J'oublie la patrie des sages !". Ne me condamnez pas, la mort me demandera bien assez tôt des comptes pour avoir tant aimé la pourriture.

Aujourd'hui je demeure seul, mon amour putride n'est plus à mes côtés. La créature s'en est retournée à son cher enfer, et me voici revenu parmi vous. Je porte sa mémoire comme un délicieux fardeau. Parfois elle vient me visiter dans mes songes pour me cracher à la figure.

Cette créature, les plus âgés d'entre vous l'ont peut-être rencontrée un jour, dans un autre pays que ce pays, sous d'autres cieux que ces cieux. Elle avait les yeux profonds, noirs, terribles et beaux... Ils étaient bleus peut-être. A moins qu'ils ne fussent verts. Ou ténébreux. Mais quelle importance ? Ils étaient bridés comme des demi-lunes ou bien clairs comme l'eau vive. Elle n'était pas d'ici et pourtant elle était quand même de notre pays, de notre histoire, de notre temps. Elle était belle, laide, fascinante, effrayante.

Elle se nommait FOLIE.


Vidéo : "Décollage en catastrophe"

Lorsque j'étais enfant il y avait dans mon village un vieil homme qui passait à vélo. On l'appelait "Saint-Denis". J'ignore si c'était là son véritable nom ou un simple sobriquet. Il vivait dans une vague cabane dans le village d'à côté. Dans une espèce de lieu informel, mi-terrain vague, mi-sous-bois, non loin du centre de son village. Une situation à la limite de la légalité. Ce "Saint-Denis" doit être mort depuis longtemps, maintenant.

Je portais sur cet homme mon regard puéril, et voyais en lui une sorte d'aimable vagabond aux allures d'étoile filante, juché sur son antique vélo et qui passait dans la rue, laissant sur son sillage un parfum mystérieux et exotique. Mon imagination impubère s'emportait et je me laissais vite séduire par ce vieux fou. Je le croyais prince de quelque royaume fantastique, sorcier magnifique ou compagnon de lutins. Je l'interrogeais, émerveillé par ses histoires de loups dans la nuit, de hérissons, de hiboux, par ses anecdotes pittoresques, ses aventures avec son vélo sur les petites routes de campagne... Cet homme fut un des rêves ayant nourri mon imaginaire infantile.

Puis je grandis. Alors mon regard sur les choses de ce monde changea. Le merveilleux personnage que je m'étais figuré était devenu un pauvre type analphabète, inculte, sans conversation, aux allures douteuses et ne s'intéressant qu'aux bistrots. Ce "Saint-Denis" n'était pour moi plus qu'un vieux garçon minable et sans intérêt qui vivait dans une cabane sordide.

Le jour où je pris conscience de cela, ce jour-là je devins adulte.

Mais le jour où je pris conscience, bien plus tard, que mon regard avait à ce point changé, ce jour-là je décidai de redevenir enfant. Et je ne voulus plus jamais être adulte.


Vidéo : "Le bras cassé"

Le petit Nestor, fils d'un riche industriel et d'une descendante d'illustre famille de France est un enfant dénué de sensibilité, cruel, profondément sot et parfaitement associable.

Inapte à l'effort, il n'apprend rien, si bien qu'à l'âge de douze ans il est pratiquement analphabète. De nature sadique le petit Nestor passe son temps à transpercer des limaces avec des aiguilles de pin ou à engluer les oisillons qu'il attrape au nid, ce qui fait le désespoir de ses géniteurs, trop conscients qu'ils sont d'avoir accouché d'un monstre.

Nestor est un enfant imbécile, gourmand, vicieux, voleur, menteur, vain et sans coeur. Il n'aime pas sa maman, il n'aime pas son papa, encore moins les limaces et les oisillons. Il n'aime que lui. Il n'a aucune aptitude aux expressions artistiques. Il ne s'intéresse à rien, sinon à l'oisiveté et à la pratique assidue de la cruauté envers les animaux. Il n'a pas d'amis et se montre méchant avec les plus petits que lui. Il n'est donc pas question de lui confier un chien ou un chat. Nestor est un enfant incorrigible d'une rare bêtise, animé d'une authentique méchanceté envers autrui. Humains ou animaux, tous les êtres vivants sont ses ennemis.

Bref, Nestor est tout le contraire d'un enfant surdoué, sensible et aimant. Voilà enfin un solide affront aux idées reçues !


Vidéo : "Etrange gilet orange"

Avec son parapluie troué, ses allures de dadais dégingandé, il ressemble à un Croquignol endimanché.

Il mange à heures fixes et jeûne le reste du temps, se lève tôt et ne se couche jamais. Affamé, il ne roule farine mais cire carrosses. Repu de misères, il ouvre son parapluie sous le soleil de mars en racontant des salades. J'aime son caractère fantasque, son aire de vie, les ourlets de ses pantalons raccourcis.

Son parapluie est un rempart contre l'humidité. Il l'ouvre toujours au moment où les passants menacent postillons. Il le ferme lorsque les premières gouttes de pluie touchent le sol. Avec son accoutrement "pluviesque", il effraie les femmes, charme les mauviettes. A travers ses chaussettes trempées, il rallie égarés et messagers des saisons qui voient en lui leur égal.

Ses amis se comptent par nuées : oiseaux du ciel, hommes de la terre, passagers de l'air. Avec ses poches pleines de vent, son chapeau de paille et son lit de betteraves, il est riche comme un radis, fauché comme un prince. Dernier des blés, premier des buveurs d'eau, planté comme un vieux pieu, il végète, heureux.

C'est un ami recommandable, un cousin lointain, une silhouette à l'horizon.

Grand buvard de pluie avare de mots, aux étoiles qui se penchent au-dessus de son épaule il aime raconter sa vie d'épouvantail.


Vidéo : "Le train"

Le train cheminait au loin, des volutes blanches s'en échappaient. J'entendais les alouettes dans le ciel d'été. La machine avançait dans un sifflement joyeux. Mon regard se posa sur une tige d'herbe séchée où venait de se poser quelque insecte ailé. Noir, trapu, l'hôte du microcosme parcourut de la racine au sommet son repaire éphémère.

Le soleil illuminait champs et plaine jusqu'à l'horizon. A perte de vue, d'immenses pâturages. Un univers baigné dans une clarté irradiante. En moi, une impression ineffable de liberté, d'infini, de légèreté... L'azur et la lumière se révélaient subitement dans leur plus pure expression, et à ces beautés soudaines mon âme s'éveillait.

Le train s'approchait lentement, recouvrant peu à peu le chant des alouettes. La locomotive crachait son suif clair, les wagons bringuebalaient dans la prairie... Je vis un poème d'acier.

L'insecte explorait toujours sa tige, indifférent aux géants qui l'entouraient, étranger aux montagnes qui de toutes parts le dominaient.

Le train arriva à ma hauteur dans un fracas enchanteur, traînant dans son sillage un souffle chaud plein d'odeurs d'huile et de feu. Un vent fabuleux souleva mes cheveux, fit naître en moi un frisson inconnu.

Subjugué par le spectacle, je devins tout à la fois la pierre au bord du chemin, le buisson non loin de là, la tige séchée à mes pieds, l'air de la prairie et l'acier de la machine...

En s'éloignant avec son panache éclatant, la créature de métal prit des allures épiques et romanesques qui m'émurent profondément.

Au passage de ce monstre à vapeur l'insecte n'avait pas quitté sa tige, absorbé qu'il était de la naissance à la mort par son monde minuscule. A toutes les échelles, de la plus glorieuse à la plus insignifiante, je ne voyais que Poésie.

Ce jour-là le ciel égalait en beauté la poussière.


Vidéo : "Morphéose et la colombe rayée"

Morphéose était singulièrement belle, quoique infâme par le caractère. Eprise d'un verveux et indifférent éphèbe nommé Ophyngiée auquel elle prodiguait un amour étrange et désespéré, elle perdait son temps à essayer de le séduire.

Lui était égoïste et cruel, même si paradoxalement on lui trouvait des qualités humaines incontestables.

Bref, Ophyngiée recevait la flamme de Morphéose avec froideur, voire avec les plus féroces railleries selon qu'il avait mangé ou non à satiété la veille au soir ou selon la température qu'il faisait dans la région, tandis qu'à côté de cela il consacrait temps, énergie et argent à aider des orphelins en Espagne.

Morphéose se mourrait de langueur pendant que l'objet de ses feux se dévouait sans compter à ses oeuvres charitables. Un jour, lassée de la goujaterie de l'adonis au coeur ambigu l'amoureuse éconduite tenta le tout pour le tout : elle lui ouvrit son corsage sous le nez afin qu'il pût apprécier le prix de ses ardeurs, la profondeur de ses sentiments, la sincérité de ses vues.

Heurté par tant d'impudeur Ophyngiée répondit à cette provocation mammaire par une moue hautaine à peine forcée qui fit sur Morphéose un effet encore plus insupportable que son ordinaire indifférence.

Ils se marièrent cependant, eurent un seul enfant qu'il appelèrent sobrement François, vécurent une dizaine d'années sans histoire avant d'envisager une séparation. La perspective joyeuse d'un célibat retrouvé eut raison de leurs dernières réticences.

François fut abandonné aux bons soins d'une institution religieuse fort sévère, ce qui permit aux parents déçus de leur mariage de trouver une paix qu'ils avaient longtemps cherchée.

Morphéose profita de sa nouvelle liberté pour s'adonner à l'art de la couture et de la broderie. Ophyngiée quant à lui, n'ayant plus d'orphelins espagnols pour occuper son temps se tourna définitivement vers l'étude stérile des étoiles, n'ayant aucune compétence scientifique en ce domaine.


Vidéo : "Bande de chalauds"

J'aime ses charmes félins, ses yeux de criminel, son affection fourbe. C'est lui le maître, c'est moi qui miaule. Mon chat est un hypocrite, un assassin, un adorable ourson en peluche. Tantôt chien fidèle, tantôt vipère, il crache et ronronne, griffe et caresse, mord et lèche.

J'aime ses jeux cruels, lâches et inutiles. Il tue insectes, oiseaux, souriceaux. Et quand il a versé le sang de ses jouets vivants, comme un tyran vite lassé il vient se blottir contre moi en quête de mignardises... Sournois, fielleux, odieux, tendre et sincère, impitoyable et émotif, son dos s'arrondit sous ma caresse : c'est là la récompense de ses méfaits.

Mon petit fauve est un démon trouble. Un chasseur sanguinaire la nuit. Un ange endormi le jour dans son berceau de plumes et de sang. C'est qu'il aime à déchiqueter ses victimes de la nuit dans le confort feutré du salon. Mon chat est un vrai esthète.

Ingrat, il lui arrive de me rendre ma caresse par quatre stries rouges. Alors nous devenons ennemis jusqu'au prochain repas où il redevient soudainement caressant et doucereux, tendre et traître, affectueux et perfide.

Et moi je ne résiste jamais à ses mensonges élégants, à ses comédies distinguées, à ses feintes de meurtrier. Mon chat est un ange griffu.

Peut-être le Diable.

Vidéo : "Au volant d'un songe"
Je suis l'amant solitaire, l'étoile errante, le pauvre hère de l'amour. Je n'ai pas de maison, pas d'or, pas de feu, pas de chance, pas de joie. Les bois, les champs, les rivières et les saisons sont mes asiles. Et la nuit le ciel est ma seule couverture, tiède en été, glaciale en hiver. Avec les constellations pour unique oreiller. Lorsque je dors je suis heureux. J'accède à un autre univers : les songes.

C'est en ces lieux oniriques que chaque nuit je deviens prince, oubliant mes oripeaux de vagabond : dans mes rêves un être, toujours le même, vient me rendre visite. Chaque nuit une créature mystérieuse, fine comme la libellule, gracieuse comme l'araignée d'eau, aérienne comme le vent me tient compagnie. Est-ce donc un elfe, une fée, quelque nymphe ou sylphide surgie des herbes qui m'entourent ? Je l'ignore, mais avec elle je deviens un héros, un chevalier vêtu d'or et de lumière partant à la conquête des étoiles, de toutes les étoiles que compte le ciel. Mes histoires rêvées sont épiques, grandioses, inoubliables.

Et chaque nuit je poursuis mes aventures interrompues à l'aube. Le rêve reprend chaque soir son cours exactement là où il s'était achevé le matin. Parfois il m'arrive de m'endormir au grand jour dans les herbes folles, et je rejoins aussitôt ma fiancée onirique. Je sais qu'elle m'attend, toujours fidèle au rendez-vous.

Pendant longtemps j'ignorais qui était cette créature devenue l'amante de mes rêves, l'hôte de mes songes, la présence impalpable de mes nuits. Maintenant je sais. Je connais le nom de cette charmante sorcière qui vient me rendre visite dans mes songes pour les mieux troubler de sa chère présence. Je connais cette reine de l'illusion qui m'a emmené si loin, je connais cet être qui est le baume à mes misères.

Ca n'est pas une femme comme je le pensais. C'est un galant, un joli, un doux messager de la nuit.

Son nom est Morphée.


Vidéo : "L'heure H qui tranche !"

Elle part à minuit pile. Ponctuelle. A une heure du matin on l’oublie presque. Deux heures après son départ, il y a comme un flottement et on ne sait plus trop où elle se trouve. A trois heures elle passe parfaitement inaperçue : tout le monde dort. Ou somnole. Quatre heures du matin, c’est une heure creuse. Elle tourne pourtant, imperturbable. A cinq heures lorsque Paris s’éveille, on fait un peu plus attention à elle. A cette heure là, elle passe vraiment à la postérité. Et c’est peut-être sa plus belle heure de gloire dans notre pays. On connaît tous la musique. A six heures, elle arrive à point nommé, régulière comme un métronome. A sept heures, elle met la France debout.

Huit heures, on commence à la connaître : elle est toujours là où on l’attend. Sans surprise. Neuf heures, courrier. On l’aime ou on la déteste. Dix heures, elle est bien là et on n’est pas pressé. Mais à onze heures, pas le temps. Quant à midi, c’est pas encore l’heure. Elle repassera.

A treize heures elle est très sollicitée. A quatorze heures, c’est fatidique. Quinze heures, elle s’étire. Seize heures, elle n’en finit pas d’être là et c’est souvent consternant. On attend avec impatience qu’elle vienne nous libérer vers les dix-sept heures. A dix-huit heures, elle est exquise. A dix-neuf heures, elle file. Vingt heures, c’est son heure. Vingt et une heures, elle est en vitesse de croisière. A vingt-deux heures, en général on s’en souvient bien, on la retient. En revanche à vingt trois heures, on ne s’en souvient plus très bien. C’est plus vague. Enfin jusqu’à minuit moins une il s’en faut de peu et on patiente. Parfois pour y prendre quelque grave et solennelle décision. Alors à minuit moins une, elle devient vraiment mémorable.

Mais à n’importe quelle heure il se passe parfois un événement assez notable pour être signalé : elle s’arrête.

Ainsi en va-t-il des 24 heures de la course de la petite aiguille d’une horloge autour du cadran.

Vidéo : "Je suis LA Littérature"

Si j'ai quelques sincères laudateurs, j'ai également des détracteurs, ce qui n'est certes pas pour me déplaire. Les duels sont stimulants, divertissants, salutaires. Mais surtout, les coups reçus font chanter mon armure.

A mes détracteurs,

Vous évoquez avec une canaille éloquence le nom de celui qui n'a pas eu l'heur de vous plaire... Si la dignité de mon front vous offense, si la hauteur de mes vues vous dérange, si la majesté de ma tête vous indispose, bref si ma personne entière vous est chose peu aimable, je ne manquerai pas de croiser avec vous la plume pour mieux rehausser mes couleurs et faire briller et mon nom et ma particule. Mes plus chers lauriers.

Je mésestime ces manières infâmes que vous avez de me considérer, propres à la plèbe. Je ne suis point de ce monde. Dans le coeur, dans l'esprit, je suis plein de noblesse. Imbu de ma personne pensez-vous ? Certes, je suis fier. Est-ce donc péché que de s'aimer à ce point ?

J'incarne noblesse, poésie, rêve. Mais encore aristocratie oisive et pédante. Je prétends faire partie d'une élite : l'espèce française. Je suis froid, hautain, arrogant. J'ignore modestie, docilité, bassesse. Plein d'idéal, je donne des leçons à mes semblables moins fortunés, moins titrés, moins valeureux que moi.

Je ne vous interdis nullement de vous ébaudir en ignoble société, ni de ripailler comme des romains ou bien d'accoucher de la pensée la plus basse qui soit. Cela est votre intime liberté. C'est la mienne également que de me mieux plaire loin de votre univers malséant. Les dentelles et la soie siéent mieux à ma vie que vos petites vérités temporelles et prosaïques.

Il est vrai que je n'ai guère d'indulgence pour la gent déchue qu'est la populace. Je méprise avec beaucoup de conviction tout ce qui ne vole pas haut : les sensibilités populaires, la religion du matérialisme, le culte du plaisir immédiat, toutes ces quêtes temporelles, alimentaires, horizontales (tels que confort matériel, sécurité de l'emploi, assurances en tous genres). Ces affaires domestiques chères à mes contemporains ne sont qu'hérésies, bassesses, insignifiances. Moi je parle des dentelles mais surtout des richesses subtiles de l'âme.

Les nécessités temporelles tels que le boire et le manger que mes semblables prennent tellement au pied de la lettre ne me touchent guère, tant il importe avant tout de donner la parole à la poésie. Je n'ignore pas que les gens ordinaires sont assoiffés de prosaïsme. C'est certes leur droit et je ne leur ôterai nullement cette piètre liberté. Mais les ânes ne savent pas chanter, et le bel oiseau que je suis est bien obligé de le faire à leur place.

Qui, si je ne me faisais l'apôtre de la légèreté, de l'esprit, de la cause poétique prendrait la parole à ma place pour dénoncer la lourdeur, le prosaïsme du monde ? J'ai le courage de porter haut mon épée, ma particule, mon mépris. Je ne suis pas d'un commerce facile. Je ne flatte pas ceux qui m'écoutent. Je ne défends pas vos causes pitoyables. Là n'est point mon rôle. Ma véritable affaire en ce monde consiste à éclairer les esprits et enrichir les coeurs. Dont les vôtres, mes chers détracteurs.



Vidéo : "Vidéo izarrienne"

Les hommes sont des silhouettes qui traversent les siècles, des ombres animées sur l'immuable fond cosmique.

Les humains avec leur destinée individuelle deviennent d'anonymes insectes quand, assis à côté du philosophe, on les observe depuis les hauteurs du Théâtre. C'est bien connu, la prise de distance donne de l'acuité.

Ainsi François Dupont, parisien cinquantenaire inconnu du XIXème siècle avec ses humbles drames et ses petites gloires, avec ses "petits blancs" dominicaux et ses pot-au-feu du mardi n'est plus qu'une ombre parmi les milliards d'autres enfouies sous la terre, recouvertes par le temps, perdues, oubliées des vivants. Ce François Dupont est le passant sans visage, la personne sans nom aperçue avec des milliers d'autres sur telle ou telle pellicule de film tournée au début du XXième siècle.

Sur ces vieux films datant des années 1900 où apparaissent des scènes de rues, les passants aux traits indistincts apparaissent tous identiques sur la toile de fond. Vainement je tente de les identifier, de leur donner un nom, d'imaginer leur destin individuel... Et je me rends compte que ces silhouettes uniformes, ces têtes d'une autre époque reproduites sur le même modèle, ces milliers de moustaches sur ces visages tous semblables, c'est moi, c'est vous, c'est nous.

Nous nous croyons "mieux" (c'est à dire plus individualisés) que ces anonymes qui traversent la pellicule et dont les tombes, pour la plupart, ne sont plus que pierres effondrées aux épitaphes érodées au fond de nos vieux cimetières, et pourtant nous aussi nous sommes des ombres, nous aussi nous sommes les insignifiants anonymes des observateurs de demain en dépit de nos vanités de "gavés de technologie", de nos certitudes clinquantes et imbéciles d'internautes moyens. Éblouis par nos écrans, nous nous croyons à l'abri de l'Ombre...

Nous sommes tous des François Dupont.

Tous des silhouettes furtives dans la grande, inaltérable, immémoriale arène cosmique.


Vidéo : "Jour de pluie"

Je déteste le soleil épais, pesant, éblouissant des beaux jours.

Les pluies en mai m'enchantent, étrangement. Un ciel couvert de nuages peut réveiller en moi les ardeurs les plus molles mais les plus authentiques. La vie, la vie poétique, cotonneuse, indolente, je la sens sous l'onde de mai, qu'elle prenne la forme de crachin tiède ou de grand voile humide. Mes humeurs s'affolent avec une exquise lenteur lorsque entrent en scène les particules d'eau qui virevoltent dans les airs, s'immiscent sur les toits, humectent les feuilles. Sur la ville la pluie vernale apporte une fraîcheur aqueuse pleine de l'odeur des champs. L'atmosphère est ralentie, trouble, chargée de réminiscences.

J'aime ne voir au-dessus de ma tête qu'un immense manteau d'une blancheur uniforme.

En juin le ciel entièrement couvert me donne une sensation d'éternité, de profondeur, mais aussi d'infinie légèreté. Les aubes de juin sans soleil me ravissent. A la lumière crue et directe de l'été je préfère la clarté douce et diffuse que filtre une barrière de brumes blanches.

En juillet je n'espère que l'éclat nivéen d'une lumière d'avril. Certains jours du mois estival la nue ne laisse passer aucun rayon, alors les champs de blé deviennent pâles comme si la Terre était devenue la Lune.

Août, je le préfère sous un vent doux et serein plutôt qu'embrasé par des tempêtes de lumière. Là, le monde m'apparaît sous son vrai jour : sans les artifices et superficialités communément inspirés par l'astre.

L'alchimie nuageuse provoque en moi un mystère de bien-être qui m'emporte loin en direction des espaces nébuleux, haut vers l'écume céleste.

Entre genèse des étoiles et éveil du bourgeon.



Vidéo : "Les jours, les mois, les ans..."

Il aurait pu être baptisé Tristan, Eplore ou Luciole.

Mélancol fut préféré. Une naissance sous le signe de la ronde Lune avait déterminé ce choix. Il avait le regard triste des enfants rêveurs, la moue plate pareille aux statues de plâtre, la mine pâle qui sied aux délicats.

C'était une onde, un parfum, un sable fin, un fil au vent. Il riait sous la pluie, pleurait dans la nuit, chantait dans les herbes folles.

Mélancol aimait le mystère, le silence, la solitude. Lors de ses retraites poétiques il avait pour seules compagnies les nuages, les feuilles mortes, les oiseaux lointains et un ou deux chats frêles. Énigmatique, doux et sauvage, Mélancol fuyait les gens. Il préférait lire dans les bois, s'évader dans les cimetières, rêver au bord de l'eau.

Mélancol un jour fut retrouvé mort, face contre ciel, yeux ouverts, bouche béante. Sa mort fut mise sur le compte de la tristesse.

En vérité Mélancol avait succombé à la Poésie.

Vidéo : "L'effet cloches"

L'aube qui se propage éclaire les nues, irradiant le monde d'un éclat argenté. Un nouvel astre se lève à l'horizon. Je monte vers les lueurs bleues, empruntant une voie blanche le long de laquelle tournoient des papillons. Dans cet espace limpide je remarque que des cailloux étincellent au bord du chemin. La lumière devient plus chaude, et je reconnais le soleil en face de moi. Il commence à m'éblouir. Je me retourne. Derrière moi, la mer. Un océan lumineux. Avec toujours ce ciel comme un cristal pur.

Des milliards de créatures, animaux, plantes, êtres divers et multiformes, d'apparences étranges ou familières habitent cet univers. Certaines se côtoient sans dommage, invisibles mais réelles, présentes telles des pensées dans l'air. D'autres s'ignorent de bonne foi, soupçonnant toutefois leur mutuelle existence.

Je continue de monter. Au point culminant de mon ascension, des rayons de lumière de teintes différentes me traversent et j'accède à un état de conscience fulgurant : je deviens une écume aérienne composée de particules infinies aux couleurs inconnues, une ébullition éthéréenne, un éclair à l'état pur. Je suis à la fois brin d'herbe et étoile, brasier et coquillage, entre cosmos et atmosphère familière : un sentiment de grandiose et de simplicité, d'infini et de proximité, de mystère et de connu. Progressivement je redescends, me réaccoutumant aux choses que je viens de quitter plus bas, comme si je me rassemblais, me recomposais après un éclatement parfait de mon être à l'échelle de l'Univers.

Suis-je mort ? Sous le souffle de quel dieu de l'Olympe suis-je apparu en ces lieux ? Suis-je né de cette lumière qui m'inonde ? Ce monde est-il l'antichambre des âmes prêtes à être incarnées ? Vais-je apparaître en des lieux inconnus et lointains, sous une forme prodigieuse ? Impossible à savoir, tant le soleil, le chemin, les cailloux, les papillons sont présents autour de moi comme des réalités intimes et éternelles.

Où me suis-je donc égaré, là où le temps n'a plus d'emprise, où des lois improbables, éblouissantes régissent les choses ?

Je suis parti dans un fabuleux voyage.

Le soleil au-dessus de moi est en fait une lune qui luit dans une nuit d'été. Les cailloux aux allures de diamants ne sont que de banales mottes de terre. Les papillons pourraient être ces chauves-souris qui chassent les insectes dehors. Moi, plongé dans un sommeil profond, presque mort, je poursuis mon long voyage. Un voyage à la fois ordinaire et magnifique, accessible et impénétrable.

Je voyage dans mon âme, emporté par les vents oniriques.


Vidéo : "Sous le masque"

C'est parce qu'il exerce une fascination vénéneuse, avec son sourire diabolique, malicieux, féminin, avec sa chevelure luxurieuse, maléfique, empoisonnée, avec son air infiniment malin, qu'on ne peut s'empêcher de fixer ce masque.

Comme par défi.

Cette face ensorcelée effraie et attire en même temps. L'on voudrait détourner les yeux de cette méchante vipère. L'on aimerait éviter ce regard superbement venimeux. Mais c'est plus fort que soi : on ne peut s'empêcher de fixer cette espèce de lune contagieuse.

Et on la fixe avec haine.

C'est une veilleuse méchante. Blonde et cynique. Belle et cruelle. Laide et érotique. Une charmeuse qui sème le malaise partout où elle passe. Elle intrigue les plus indifférents. Mais surtout elle tourmente les imaginations les plus sensibles : cette ricaneuse est éloquente. Trop peut-être. Et l'on se prend à s'interroger sur ce qui la fait si soigneusement, si sérieusement ricaner...

Il n'est pas très agréable de soutenir ce regard venu d'on ne sait quelles ténèbres, et pourtant on le soutient. On déteste ces yeux d'infernale femelle, et on les trouve magnifiques cependant.

Cette séductrice a décidément le charme malveillant des criminelles amantes.

Vidéo : "Mystère au-dessus des tombes"

Je flânais sous la Lune, m'égarant avec délices sur des terres que je n'avais plus parcourues depuis des lustres, que je reconnaissais vaguement. Sur mon chemin de hasard je croisai une tombe qui sous l'effet de l'astre jetait une ombre funèbre. L'humble croix de bois se dressait dans la campagne. Étrange, jamais je ne l'avais remarquée auparavant...

Intrigué, je m'approchai... J'y lus le nom d'un ermite que j'avais bien connu jadis. Ainsi ce vieux fou était mort ! Selon sa volonté il avait été mis en terre là où il avait vécu : nulle part, loin de tout. Une vie simple, admirable en vérité. Alors me revinrent les souvenirs de ce passager hors du temps, à l'écart du monde, épris d'idéal.

Sa piété était grande, sa joie spirituelle immense, son antre minuscule. Il vivait comme un pauvre, riche de son renoncement. A l'époque, admiratif, méfiant et amusé, j'écoutais ses histoires, toujours belles, inspirées, mystiques. Mais chimériques pour l'hérétique que j'étais.

Je m'attardai sur sa tombe, affligé de constater qu'une vie aussi glorieusement incarnée, honnête, saine, se nourrissant d'altruisme, de prières, d'espoir pouvait s'achever misérablement sur la pourriture. Peu réjouissante condition humaine qui me laissait perplexe, désabusé.

Je décelai une fissure sur la dalle. Le pauvre illuminé était mort depuis si longtemps... Machinalement je posai le pied à l'endroit de la fissure. Alors il se passa une chose extraordinaire, inimaginable : mon talon s'enfonça, la pierre se fendit, le gouffre macabre s'ouvrit. L'épouvante me gagna, très vite remplacée par l'incrédulité, l'ébahissement, l'émerveillement : de la tombe surgit un puissant geyser de ciel bleu, un pur jaillissement d'azur, une éblouissante irruption de bleu, un torrent de lumière d'une beauté inouïe ! Un rayonnement de bleu intense dans le silence de la nuit qui dura deux minutes tout au plus. Phénomène inexplicable et pourtant réel qui devait bouleverser le cours de mon existence.

Ces flots azurés sortant de la sépulture m'avaient raconté là un grand mystère que j'étais loin de soupçonner. Tant d'évidence ne pouvait me laisser de marbre. Touché par cet aperçu de ciel fusant de la fosse, je fus converti.

Je me fis ermite à mon tour.


Vidéo : "Rien à prouver"

Je suis un seigneur.

Je mange dans une gamelle de bois, dors dans de la fourrure, nage en eaux libres, mendie avec dédain, gâche sans remords, mâche solennellement, marche sans me presser, cours avec les ânes, bêle en compagnie de mes femmes.

Je regarde l'heure qu'il est à la seconde près quand je n'ai pas besoin de savoir l'heure qu'il est. J'oublie le temps qui passe quand je vois le temps qu'il fait. La fatalité chez moi s'appelle "fatalitas". Je baigne parfois mes pieds dans une bassine en zinc. Je suis un seigneur et mes orteils valent autant que vos cocktails.

Comme tout seigneur, j'ai plein d'honneur : je crache par terre avec ostentation. Ca me fait coqueter quand je porte mon beau chapeau à plume. J'aime me pavaner, railler, mépriser, persifler. Je déteste la compagnie de mes semblables portant un couvre-chef plus haut que le mien. Je porte un amour presque immodéré à mes chats. Ma bonne les nourrit, et elle est âgée. Je ne la paye pas pour ne rien faire, aussi j'attends de cette vieillarde maintes satisfactions et moult services : transports de bois, arrachage de souches, port de seaux d'eau fort lourds. Pour la cuisine, j'emploie un tendron de seize ans peu farouche.

Je suis riche, avaricieux, poltron, déloyal, menteur, faussaire, enthousiaste, retors, élégant, colérique et prétentieux.

Je prends dans les troncs des églises, donne aux moins pauvres, fais la morale aux riches, recueille dans mes écuries les miséreux, mange à ma faim, vole ma vieille bonne, gâte ma cuisinière de seize printemps, flatte mon curé.

Je suis un seigneur. J'ai besoin de le répéter, de le rappeler, qu'on s'en souvienne. Mon chapeau à plume est seyant, mes crachats sont sonores et puissants, ma demeure est glaciale. Je vis dans mes écuries la plupart du temps, sauf quand je recueille des vagabonds. Là, je dors dans mon lit, eux dans mon foin quotidien. Je suis un seigneur.

Un peu étrange disent certains.

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